Cuisine médiévale

L'art de la table au Moyen Âge

Peut-on vraiment parler d'un art ? Hé bien oui ! Nous allons voir pourquoi, et commençons par quelques généralités.

L'alimentation au Moyen Âge a une très grande importance, parce que les famines étaient fréquentes: guerres, mauvaises saisons, et même des hivers longs et froids sur la fin du Moyen Âge, épidémies... Autant de raisons qui expliquent que les récoltes variaient d'une année à l'autre. Mais il faut également tenir compte d'un autre facteur: les disparités sociales. Entre la table du noble et celle du paysan, c'est un véritable fossé qui se créé, qui est encore plus creusé à la fin du XIIIe siècle quand l'aristocratie se réserve des terres boisées pour y pratiquer la chasse. Celle-ci étant alors interdite aux paysans sur ces terres, cette activité devient peu à peu l'apanage des nobles. 

Nous avons donc deux types de tables au Moyen Âge: la cuisine du petit peuple, que l'ont peut qualifier de cuisine d'économie; et celle des bourgeois et nobles. Il y a pourtant une base commune entre ces deux mondes culinaires qui se trouve dans les aliments utilisés. Pour tous, la table est composée de viande, de pain et de pâtisseries et enfin quelques légumes et fruits secs. Et sauf dans le cas de la viande, comme cela sera expliqué plus loin, la cuisine se fait avec les produits de saison.

La cuisine médiévale est diététique: pauvre en graisses, pas de sucres, nous nous trouvons face à une alimentation qui ravirait plus d'un/e nutrionniste du XXIe siècle (et encore, il s'en trouvera pour vous dire que ça manque de certaines choses que nous connaissons aujourd'hui mais qui n'étaient pas connues au Moyen Âge). Si vous aviez pensé que c'est là la différence entre la table du noble et celle du paysan, hé bien non ! Mais nous aborderons ce sujet plus tard.

Enfin, la cuisine médiévale était épicée, et il y avait une belle variété d'épices. Mais attention, il ne s'agissait pas d'utiliser les épices pour cacher la mauvaise qualité des aliments ou pour des raisons d'hygiène. Il y avait une véritable recherche d'harmonie, et la quantité impressionnante d'épices connues au Moyen Âge permet d'en avoir pour tous les goûts et les moyens ! Là encore, étant donné l'origine parfois très lointaine de certaines épices, c'est une question de bourse. Cela ne veut pas dire, par contre, que le peuple était à nouveau laissé de côté. Certaines épices devenues très accessibles avec le temps, comme le poivre, ont fini par s'ajouter aux épices locales, par exemple.

 

Repas entre petites gens

Crédit: Livre du roi Modus et de la reine Ratio, XIVe siècle

 

Les viandes

Le saviez-vous ? Le mot viande désigne au Moyen Âge tous les aliments, qu'il s'agisse de chair animale, de poisson ou de légumes. Les livres de cuisine sont ainsi appelés viandiers, car ils évoquent la préparation de l'ensemble des aliments. 

Alors, quels étaient les aliments connus au Moyen Âge ?

Sans prendre en compte les différences sociales, la liste des aliments consommés au XIIIe siècle est déjà bien complète. Et pourtant, nous ne connaissons alors pas l'Amérique. Mais vous allez découvrir qu'en plus des produits locaux, le commerce avec les pays du Moyen-Orient, d'Asie et d'Afrique a permis d'ajouter bon nombre de bonnes choses.

 

Un banquet médiéval

Crédits: Fototeca Gilardi

 

Commençons donc par la viande (sous sa signification du XXIe siècle)

Elle était omniprésente dans la cuisine du Moyen Âge, au même titre que le pain. Mais lesquelles consommait-on ? 

Hé bien majoritairement du porc. Le boeuf n'était pas aussi couramment consommé qu'aujourd'hui: il avait une utilité au travail dans les champs et pour les transports, si bien qu'il ne finissait pas dans les assiettes avant que l'âge ne lui ait rendu les tâches agricoles impossibles. Il en était de même pour les vaches, utilisés pour le lait; les moutons, utilisés pour la production de laine; et les poules, pour la production d'oeufs. 

Le cheval a un statut encore plus particulier: c'est le compagnon du chevalier, mais aussi un formidable moyen de transport. Et il était interdit d'en manger et ce, depuis un décret du pape Grégoire en 732. Cette interdiction est due au fait que chez les Celtes et Germains qui peuplaient une bonne partie de l'Europe de l'Ouest et du Nord, le cheval était sacré et faisait l'objet de nombreux rites. C'est cette sacralisation qui a conduit à interdire la consommation de viande de cheval, pour combattre ces même rites.

 

Dagobert 1er à la chasse

Crédits: Dagobert 1er chassant le cerf, Bibliothèque de France

 

Vient ensuite la viande de chasse, et nous retrouvons là les disparités sociales. Les nobles ajoutaient volontier à leur table le gros gibier (cerf, sanglier, chevreuil), des volailles prestigieuses comme le faisan, le cygne, la cigogne ou encore l'oie et la dinde, le petit peuple se contentait généralement de lapin ou de lièvre ou de petite volaille (grives, merles, etc). 

 

Le pain, omniprésent sur la table médiévale

Oui, vous avez bien lu, le pain se trouve partout dans l'alimentation médiévale. Et ce même jusqu'à en être un ustensile: on utilisait comme assiettes de grosses tranches épaisses, un peu rassises et nommées tranchoirs. A la fin du repas, soit on la mangeait, soit elle était donnée aux pauvres ou aux cochons avec les restes, voire aux chiens. Le pain, en dehors du tranchoir, est présent dans tous les repas de la journée, si bien qu'on en consommait en moyenne jusqu'à un kilo par jour. C'est vous dire si il tient une place importante sur la table !

Au début du Moyen Age, le pain était fait de farines de seigle, d'avoine ou d'orge car on privilégiait les céréales les plus rentables. Mais au XIIe siècle, la farine de froment (à base de blé ou d'épeautre) est devenue plus courante, parce que plus digeste. Le petit peuple, qui ne disposait bien souvent pas d'un four, pouvait utiliser un four commun appartenant soit au seigneur, soit à l'Eglise, contre une taxe sur le bois à utiliser. 

 

Au four commun

Crédits: Anecdotes historiques

 

Légumes et fruits

Les légumes du Moyen Âge n'étaient pas aussi variés que de nos jours, mais ils n'en restent pas moins consommés couramment. On peut les classer en plusieurs catégories:

  • Tout d'abord, les racines: carottes, betteraves, navets, panais et autres salsifis sont cultivés à peu près partout en Europe.
  • Ensuite, nous avons les féculents: parmi eux, nous trouvons les pois, fèves et pois chiches entre autres. Ces derniers sont par contre méprisés des médecins à cause des flatulences qu'ils provoquent, et semblent avoir garni surtout la table du petit peuple.
  • Un peu de verdure, tout de même: choux, salades, épinards, cardons, bettes et poireaux que nous connaissons bien étaient déjà largement cultivés et consommés. 

 

Récolte du chou

Crédits: Récolte du chou, Tacuinum sanitatis, XVe siècle

 

Les fruits étaient quant à eux très populaires, et consommés aussi bien frais (et donc, de région et de saison !) que secs. Pour le petit peuple, c'était un ingrédient pour édulcorer les plats voire faire un bon dessert. En effet, le sucre et le miel coûtaient une fortune et ne leur étaient pas accessibles. Du nord au sud, nous trouvons une intéressante variété de fruits: pommes, poires, prunes et fraises, plus souvent cueillies sauvages que cultivées de même que les mûres et les framboises; citrons, cédrats, oranges amères, grenades, coings et bien entendu le raisin. 

Peu à peu, les croisés ont rapporté du Moyen-Orient et d'Asie des fruits qui ont d'abord exclusivement ravi les nobles, à cause de leur prix: figues, dattes, abricots et pêches font partie de cette liste.

 

Qu'y avait-il d'autre ?

Nous terminerons cette liste par trois autres aliments importants dans la cuisine médiévale: les laitages, les poissons et les épices.

Les laitages, consommés par tous, étaient constitués majoritairement de lait de vache, mais on trouvait aussi du lait de brebis et de chèvre. Le lait frais n'était pas courant (du fait de sa conservation très difficile et limitée) et consommé surtout par les enfants, les personnes âgées et les malades. Par contre, on fabriquait déjà de nombreux fromages: bries, et parmesans existaient déjà, de même que les fromages faits de petit-lait (comme la ricotta). Enfin, le beurre remplaçait l'huile dans la cuisine du nord de l'Europe.

 

Fabrication du fromage

Crédits: Fabrication du fromage, Tacuinum sanitatis, XVe siècle

 

Le poisson remplaçait la viande, les laitages et les oeufs interdits lors de certaines périodes telles que le Carême. On le consommait frais ou séché, permettant ainsi de varier entre poissons d'eau douce (carpes, anguilles, perches, lamproies, gardons et brochet, courants dans les étangs et lacs d'Europe) et les poissons de mer (morues, maquereaux et harengs). La truite et le saumon, élevés en viviers, étaient prisés des nobles et très coûteux. Par poisson, au Moyen Âge, on entend aussi tout animal non terrestre et les mollusques: grenouilles, escargots et fruits de mer font donc partie de ces plats de poissons. 

 

Poissonnier, détail de miniature

Crédits: Détail de miniature du poissonnier, Tacuinum sanitatis, XVe siècle

 

Enfin, les épices, comme nous l'avons dit plus haut, étaient populaires chez tous. Et la liste de celles connues et utilisées est plutôt conséquente: gingembre, cardamome, cannelle, poivre, clous de girofle, muscade, cumin, amandes, sucre et safran sont celles qui sont arrivées en Europe au cours du Moyen Âge, par la Route de la Soie et les croisades. On utilise également des épices et condiments de nos contrées : thym, laurier, ail, oignon, échalote, persil, sauge, carvi, menthe, fenouil, aneth et ciboulette. Le sel n'est par contre pas considéré comme épice.

 

Et ces fameuses disparités sociales ?

En dehors des aliments trop coûteux pour les uns, ou réservés par usage pour les autres, une des grosses différences entre nobles et petit peuple réside dans la cuisson. Cuisson à la broche chez les nobles et en sauce; en ragoût ou en pâté pour le peuple. Le gibier était d'abord bouilli pour attendrir la chair, puis généralement rôti à la broche. Une autre variante consistait à les découper en morceaux et les cuire dans une sauce au vin épaissie de pain grillé broyé ou de purée de féculents, en sorte de civets ou de hochepots. On pouvait aussi mélanger plusieurs sortes de viandes pour utiliser les restes ou les abats, coupés en morceaux et mis à la sauce (épicée), ou broyés avec des herbes fines pour faire des pâtés ou des tourtes (avec de la pâte).

La table du paysan était de plus composée principalement de produits de la ferme: laitages, oeufs, légumes, céréales, racines, fruits secs et de la forêt, charcuterie de porc et beaucoup de pain. Le porc était abattu au début de l'hiver puis préparé et conservé en salaison. Ces charcuteries étaient réservées aux jours de fête. Le reste du temps, le menu du petit peuple se composait de soupes de légumes, de galettes, de bouillies de seigle ou d’orge et de pain. 

A titre d'exemple, voici un menu paysan du XIIIe siècle:

  • Le déjeuner : pain noir et bouillon chaud ou bouillie de céréales au lait
  • Le dîner : pain et fromage, fruits secs (noix, châtaignes), lard ou volaille, cidre ou vin
  • Le souper : soupe et pain trempé, fruits secs, viande parfois

 

Labeur des boeufs dans les champs

Crédits: Rochester Bestiary, Folio 37v, XIIIe siècle

 

Quelques recettes que nous faisons

Depuis quelques années, la Lance s'est fait un devoir de manger comme au XIIIe siècle. Notre équipe de cuisinières et cuisiniers, toujours à la recherche de nouvelles recettes à essayer et peaufiner, a aujourd'hui une liste de recettes à rendre jaloux un bon cuistot. Ces recettes proviennent d'ouvrages de l'époque: le Manuscrit de Sion, le Mesnagier de Paris, Le Taillevent et le Viandier en sont des exemples.

 

Alors, vous avez faim ?

 

En voici quelques-unes que nous faisons couramment, n'hésitez pas à cliquer sur le lien de chacune pour découvrir de quelle merveille culinaire il s'agit: